Les créateurs de la saga Yakuza n’ont pas fini de nous narrer de belles histoires. Si l’on avait pris l’habitude d’incarner des mauvais garçons qui parlaient mal de la bouche, la dernière production de chez SEGA offre de suivre les aventures d’un tout nouveau héros un poil plus vertueux. Et puis c’est tout !
Spin-Off ou relève ? C’est un peu ce qu’on est en droit de se demander après avoir passé une dizaine d’heures sur Judgment. Pour rappel, le sixième volet de Yakuza, l’excellent Song of Life, concluait assez brillamment les aventures de Kazuma Kiryu en nous arrachant une larmichette au passage. Depuis l’annonce de Judgment, il fallait beaucoup d’abnégation pour passer à travers toutes les news et éventuelles sessions bêta afin de conserver l’effet de surprise. Au final, beaucoup d’efforts pour pas grand-chose. Disons-le franchement, Judgment n’est rien de moins qu’un “Yakuza”. Faut-il s’étonner de voir le principe d’un Yakuza décliné à nouveau lorsqu’on a aussi joué en fin d’année dernière à Fist of the North Star Lost Paradise ? Toutefois on peut reconnaître à ce dernier – bien qu’il était imparfait sur quelques points – qu’il faisait davantage preuve d’originalité. Le Ryu Ga Gotoku Studio a limité cette fois la prise de risque, le résultat bien qu’assez réussi nous laisse pourtant un goût de déjà-vu.
Le pitch de départ est assez simple. On incarne un ancien prodige du barreau qui a raccroché la robe (enfin au Japon ils portent des costards) après avoir obtenu la libération de son client, qui une fois innocenté s’est avéré être en fait un serial killer. Un tantinet amer, pour ne pas dire rongé par les remords, notre héros Takayuki Yagumi, qui croyait dur comme fer en l’innocence de son client, a depuis monté son agence de détective afin d’enquêter sur des affaires bien moins sordides. S’il présente toutes les caractéristiques du vertueux parangon, le jeune premier ne tarde pas à être rattrapé par son passé bien plus sulfureux qu’on ne l’imagine. L’action de Judgment se déroule en 2018 à Kamurocho, terrain de jeu tokyoïte incontournable de la saga Yakuza, que l’on a déjà parcouru maintes et maintes fois lors de la sortie des épisodes originaux et des remakes. Si le titre est doté du même – petit – monde ouvert, vivant et laborieux, il a hérité aussi des mêmes mécaniques de gameplay. Par pur flemmardise, je pourrais vous inviter à relire le test de Yakuza 6 (ou Kiwami 2), mais étrangement, ce jeu m’a nettement moins emballé que le baroud d’honneur de Kazuma Kiryu ou la refonte graphique des deux premiers exploits du Dragon de Dojima.
Dans les grandes lignes, en jeu d’action-aventure mâtiné de beat’em up digne de ce nom, Judgment impose de crapahuter à travers le quartier de Kamurocho afin d’accomplir des missions principales et des quêtes annexes ou de passer le temps en se divertissant de différentes manières (baseball, salles d’arcade, casino clandestin, courses de drones…). Problème, si les intrigues des exploits de Kiryu chan étaient – le plus souvent – assez rondement menées, cette fois on a du mal à accrocher à cette aventure dont les rebondissements sont souvent plombés par des missions annexes un tantinet lourdingues. Bien sûr, à l’instar des autres volets de la franchise Yakuza, nos pérégrinations à travers Kamurocho sont ponctuées de mauvaises rencontres. Et elles gagnent d’ailleurs en fréquence à mesure que l’on se met à dos des puissantes organisations criminelles ou des petites bandes de quartier. Comme notre bon vieux Kazuma Kiryu, Takayuki n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds mais plutôt à coller des mandales et distribuer des coups de savate. Il peut utiliser deux styles d’arts martiaux celui de la grue ou celui du tigre. Si le premier style axé sur la vitesse permet d’éviter de se retrouver submergé par les groupes d’ennemis, le second style de combat est quant à lui davantage adapté aux combats singuliers. En plus de pouvoir recourir à la puissance des poings ou des coups de tatanes le héros peut aussi employer une multitude d’éléments du décor (vélo, enseigne, kakémono…) pour calmer les ardeurs des agresseurs. Notez qu’en fréquentant assidûment certains commerces, notre héros peut s’attirer la sympathie des commerçants, qui n’hésitent pas à prêter main forte à leur fidèle client lors des castagnes de rue. Dans l’ensemble, les inconditionnels de la licence crapuleuse de Sega seront en terrains connu. Signalons qu’en incarnant un détective, Judgment apporte son lot d’exercices imposés telles les filatures, l’infiltration costumée, les poursuites (à base de QTE), les analyses de scènes de crime, les interrogatoires, les crochetages de serrures et les ouvertures de portes à l’aide de clés. Les deux derniers exercices sont parfois assez pénibles tant ils freinent fréquemment le rythme de l’aventure. En matière de prise en main les arbres de compétences ont gagné en lisibilité. Ainsi pour améliorer certaines caractéristiques (jauge de santé, puissance…) ou étoffer les talents, la distribution comme la répartition des points d’expérience se fait de manière plus intuitive et non plus à travers un glyphe ésotérique recouvert d’orbes luminescents. Un point positif pour Judgment. C’est déjà ça de pris !
Techniquement, le dernier né du Ryu GaGotoku Studio a hérité de ce qu’il pouvait se faire de mieux en matière de moteur 3D… du moins chez Sega. Sans surprise, le jeu carbure au Dragon Engine, le moteur “maison” employé par le sixième volet de la série et cousu main pour la PS4. Les environnements de Kamurocho sont détaillés, et la nuit – cycle jour/nuit oblige – nos mirettes sont toujours éblouies par les jolis effets d’éclairages. Les animations du héros sont assez fluides lors des combats, moins durant les phases d’exploration, une fois de plus le Dragon Engine pousse sans vergogne la PS4 dans ses derniers retranchements. Quant à la gestion de la physique, notamment celle des ennemis, elle s’avère parfois un tantinet datée/exagérée lorsqu’ils rebondissent sur le sol. Pas de quoi effrayer les amateurs de la franchise, à coup sûrs ils seront émerveillés par le soin qui a été apporté aux modélisations ainsi qu’aux expressions faciales de la plupart des protagonistes principaux. Reconnaissons d’ailleurs que Kaito (sans doute grâce à son faux air de Kiryu), le faire valoir de Takayuki, a infiniment plus de charisme que l’ancien prodige du barreau ! Pas évident de s’attacher à ce dernier ! En revanche, les joueurs seront immanquablement séduits par la mise en scène soignée des cinématiques ou les chorégraphies nerveuses qui précèdent certains duels endiablés. Judgment peut se vanter d’être doté d’un environnement complexe fidèle au quartier de Kabukicho dont il s’inspire. Evidemment, en terme de superficie, le terrain de jeu de ce monde ouvert sera toujours trop modeste en comparaison des gigantesques bacs à sables offerts par les plus récents opus d’Assassin’s Creed. Reste qu’en terme d’immersion, on a vraiment l’impression de s’être payé un aller simple à destination du quartier le plus chaud de Tokyo. Espérés depuis belle lurette, les sous-titres et menus en français permettront aux moins anglophones de se perdre dans les allées glauques by night tout en se régalant des voix originales en japonais ! Un second bon point pour Judgment, les sorties occidentales des précédents Yakuza obligeaient à se coltiner des menus et sous-titres dans la langue de Shakespear. Preuve que Judgment se veut accessible à un nouveau public ?