A la fin du chapitre précédent, je vous racontais comment j’étais parvenu à entrer dans le monde de la presse avec un hasard monumental comme seule la vie peut vous en réserver. Découvrir le monde de la presse et tout simplement le monde du travail à 16 ans m’a fait mûrir sans doute plus (trop?) tôt.
Même si je restais l’ado fan de jeux vidéos, au fil des mois à piger pour le magazine Game Mag, la vision que j’avais du jeu vidéo, ma compréhension de cette industrie naissante changea bien des choses. Petit à petit je découvrais que je devenais plus journaliste que gamer. Le plaisir de jouer, s’il était encore bien là, avait commencé à laisser place au sens critique, à l’analyse, à une vision plus professionnelle voire plus détaillée et à devoir faire passer le message au lecteur concerné par tel ou tel titre. Certains diront sans doute que j’y ai perdu mon âme de gamer. C’est sans doute vrai pour une certaine part. Toutefois, j’ai toujours tenté, quelque soit le genre de titre à tester, de me mettre à la place du gamer susceptible d’être intéressé par le jeu en question. Et des genres différents, j’en ai eu un max.
les pontes de l’époque avaient vraiment eu un sacré courage de faire confiance à trois gamins
Mais revenons donc au sujet du jour : ma découverte du monde du travail. Lorsque j’ai débuté à la rédaction de Game Mag, je n’avais pas encore 17 ans. J’étais en première et était moyennement intéressé par l’école. J’avais toujours eu des prédispositions scolaires et cela m’a bien joué des tours. Quand on est toujours premier de la classe en faisant le minimum, tôt ou tard, on le paie. Toujours est-il que mon niveau de français était plutôt bon même si je suis loin d’être un grand littéraire. Dès les débuts, j’avais conscience que le but d’un journaliste gamer était de faire passer le message, mes impressions, ma passion par une communication simple. Je ne me suis jamais pris pour un écrivain comme certains dans l’industrie. C’est donc avec mon bagage scolaire de lycéen que je suis entré dans une rédaction. Sans doute pour ne pas me sentir seul, j’avais embarqué dans l’aventure 2 potes de lycée l’un spécialisé Amstrad qui finit par écrire pour AM Mag. L’autre pote, l’un des tous premiers en France à avoir un Amiga – qu’on n’appelait pas encore Amiga 1000 – était entré dans Game Mag pour tester les titres Amiga. Moi, possédant à l’époque un Commodore 64 et fraîchement un Amiga (cf chapitres précédents), je me focalisais sur l’ancienne machine de Commodore. Bref, les jeunots du Lycée Van Dongen de Lagny sur Marne débarquait dans les rédactions. A bien y réfléchir, les pontes de l’époque avaient vraiment eu un sacré courage de faire confiance à trois gamins. 😀
Les procédures de travail de l’époque feraient plus que sourciller la jeune génération qui n’a jamais connu cela. De nos jours, applications, logiciels, services web, systèmes de publication et autres appareils sont accessibles à tout un chacun. Il n’est pas difficile de se lancer de n’importe où dans le monde du moment qu’on est connecté. Mais à l’époque, le pouvoir de diffusion était détenu par la presse. Si cette dernière succombe petit à petit dans le monde moderne c’est en partie dû non à sa bonne ou mauvaise qualité mais au fait que le pouvoir de diffusion est devenu accessible à tous. Je m’attarderais pas là-dessus car c’est un tout autre sujet. Bref, c’est donc par la presse magazine que j’ai découvert ce dit pouvoir.
Comment bossait-on à l’époque me demanderez-vous? Ben, c’est très très différent de maintenant. Pas d’email, de téléchargement possible. Il fallait que je me déplace avec mes potes à la rédaction. Bien souvent nous y allions le mercredi après-midi récupérer les jeux et rendre nos articles. Oui, vous avez bien entendu « rendre ». En effet, tous trois, déjà fort habitués aux claviers, utilisions des traitements de texte (Kindworks, Word Perfect, etc.) pour écrire nos articles. Nous les imprimions ensuite via nos bonnes vieilles imprimantes matricielles. Je me souviens encore du trajet en RER vers la rédaction où on s’échangeait nos textes pour les relire entre nous. Parfois, on se prenait des fous rires car on voyait bien que le pote avait dû l’écrire à des horaires où son cerveau devait être en berne. A bien y penser, la secrétaire de rédaction qui devait saisir et corriger nos textes – hé oui, même moi je ne comprends pas pourquoi nous ne rendions pas nos textes sur disquette (sans doute des histoires de format non compatibles) – avait dû en voir des vertes et des pas mûres. 😀
Contrairement à ce que j’ai expérimenté plus tard, à mes débuts, les pigistes ne faisaient pas les captures d’écran pour la simple raison que la technologie n’existait tout simplement pas, en tous les cas pas accessible au commun des mortels. Comment faisait-on? Les rédactions avaient des photographes qui calaient leur appareil photo reflex sur un pied face au téléviseur dans une pièce sombre. Bref, méga old school. Je me souviens encore d’un exercice de style exécuté par l’un des potes et son frère. Ils avaient décidé de faire la solution complète de Great Giana Sisters sur Amiga (vous savez le fameux clone de Mario Bros édité par les allemands de Rainbow Arts). Ils avaient ainsi tous les deux photographié l’intégralité de tous les niveaux et le maquettiste avait dû tout coller ensemble. Compte tenu des technologies de l’époque, ça tenait de la bidouille mais ça a fonctionné. Plus tard, j’ai tenté un autre exercice de style du même genre mais je vous le raconterais dans un autre chapitre.
C’est pour ces raisons là qu’il n’y avait que peu d’images dans les magazines de l’époque. Soit les images étaient fournies par les éditeurs sous forme de diapos (ektas pour les intimes) qu’il fallait scanner pour pouvoir l’intégrer dans la maquette du magazine. Soit, on avait droit aux diapos du photographe. L’un dans l’autre, les images étaient rarement d’une qualité optimale d’autant plus qu’on avait droit à la problématique du résultat une fois le magazine imprimé. La gestion des images et leur rendu sur papier aura posé problème bien après mes débuts puisque même dans les années 2000 avant la passage au tout numérique, on avait encore des surprises dans les magazines.
Lorsqu’on gagne un argent de poche plusieurs centaines de fois supérieur au lycéen lambda…, on voit les choses très différemment
Et cela a ainsi duré pendant quelques années. Petit à petit, on prenait nos marques. Notre écriture devenait sans doute plus structuré moins chaotique. Je sais qu’indirectement cela a affecté ma façon d’écrire pour les devoirs scolaires. J’avais nettement moins de problème de structure, d’argumentation à l’école. Comme quoi, pour s’améliorer en écriture, comme dans bien des disciplines, le pratiquer et s’entraîner est généralement payant. On ne devient pas Baudelaire, Verlaine ou Hugo comme ça mais au moins on devient plus clair, plus digeste, je l’espère. Très rapidement, on avait acquis de l’expérience et une certaine crédibilité. Si le pote sur AM Mag avait rapidement délaissé le métier, mon autre pote spécialiste Amiga avait commencé à piger pour une autre rédaction, Commodore Revue. Moi même je me retrouvais également dessus. Entre la fin des années 80 et le début des années 90, j’aurais pigé dans diverses rédactions. Je ne suis même pas sûr de me souvenir de toutes et de la période à laquelle cela s’est passé. J’ai dû toutefois stopper pendant une certaine période sur l’ordre de mes parents vu que mes résultats scolaires étaient devenus catastrophiques.
Avec cette double existence, ma vision de la vie de lycéen, et par la suite estudiantine, en avait pris un coup. Lorsqu’on gagne un argent de poche plusieurs centaines de fois supérieur au lycéen lambda et qu’on peut se permettre des dépenses d’adulte tout en cotoyant le monde du travail, on voit les choses très différemment. Cela avait bien des avantages mais, parfois à regret, je pense que j’ai dû rater ce qui définit l’adolescence de la majorité d’entre vous à savoir une certaine insouciance qu’on a dans ces années là. Difficile à dire si ma personnalité aurait été différente si ma voie l’avait été tout autant. Sans doute ai-je été plus sérieux plus tôt.
Toutes ces années, je n’avais pas vraiment eu à chercher de piges à faire. Le milieu était assez petit donc beaucoup se connaissaient. Les membres de rédactions passaient souvent d’un magazine à l’autre en fonction de leur succès ou leur arrêt et les chefs s’échangeaient bien souvent les noms de pigistes disponibles et j’étais finalement assez bien vu pour avoir des propositions de travail assez régulièrement. La première fois que j’ai eue à chercher une rédaction, cela fût après ma coupure pour rejoindre un magazine qui m’aura vraiment marqué, Génération 4. Mais ça c’est pour le prochain chapitre.